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'Lumières et étoiles dans le quartier juif': Jacob ben David Bonjorn, le juif qui lisait les astres
Josep Chabàs, Université Pompeu Fabra
Jacob ben David Bonjorn (également appelé Jacob Po'el et Jacob ben David ben Yomtob) est une référence de l'astronomie mathématique du XIVè siècle. Il est l'auteur de tables astronomiques calculées pour la latitude de Perpignan qui commencent en 1361.
Ces tables qui ont été très diffusées, étaient normalement accompagnées de certains canons, c'est-à-dire d'un texte indiquant la façon de s'en servir, mais qui n'explique pas comment elles ont été faites. Il existe des traces manuscrites que Bonjorn travailla à la cour du roi Pierre le Cérémonieux (1319 - 1387), durant le règne duquel, et avec son élan, se développe une activité astronomique considérable à la Couronne d'Aragon. Cet intérêt a perduré après le décès du roi Pierre, durant le règne de ses deux fils, Jean I le Chasseur (m. 1395) et Martin l'Humain (m. 1410), bien qu'avec un caractère plus astrologique.
Les tables de Bonjorn s'occupent d'un des problèmes les plus complexes de l'astronomie de l'époque, le calcul des instants des véritables syzygies, c'est-à-dire, les conjonctions et oppositions de la Lune et du Soleil. Les tables donnent une liste de toutes les syzygies de la période 1361-1391 et permettent en même temps de connaître les circonstances des éclipses, aussi bien lunaires que solaires de cette période. Elles sont basées sur un cycle comprenant 11.325 jours (un peu plus de 31 ans) et d'une durée du mois synodique différente de celle utilisée habituellement par les astronomes précédents. Bonjorn incorpore donc un mécanisme de calcul permettant d'étendre l'usage des tables au-delà de 1391. Dans l'ensemble, les tables occupent environ 50 pages manuscrites pleines de chiffres, alors que les canons occupent une douzaine de pages. Les tables de Bonjorn sont également un bon exemple de la transmission des idées astronomiques du Moyen-âge. Parmi les rares noms d'auteurs mentionnés dans les canons figurent trois savants juifs : le Barcelonais Abraham bar Hiyya (1065 - 1136), le cordouan Maimònides (1135 - 1204) et le provençal Levi ben Gerson (1288 - 1344). Ce dernier est l'auteur d'autres tables astronomiques basées sur ses propres observations et contenues dans son œuvre Milhamot Adonai. Les tables de Levi ben Gerson servirent de base à Bonjorn pour préparer ses propres tables. L'astronomie de Bonjorn s'inscrit donc dans la tradition astronomique juive d'origine catalane-provençale.
L'œuvre de Bonjorn, écrite à l'origine en hébreu, a été largement diffusée dans d'autres langues (catalan, latin et grec) et se prolonge dans deux œuvres d'auteurs de la seconde moitié du XVè siècle. D'un côté, le juif de Salamanque Abraham Zacut (1452 - 1515), l'astronome le plus illustre de la péninsule ibérique avant l'expulsion des juifs en 1492 et auteur de l'Ha-Hibbur ha-gadol; d'un autre côté, le Barcelonais Bernat de Granollachs (fl. 1440 - 1487), auteur del Lunari, un best-seller à l'époque et dont on connaît 37 éditions incunables.
Josep Chabàs a donné une conférence très intéressante au sujet de cette personnalité de la science catalane médiévale, à l'Institut d'Estudis Nahmànides, le 11 novembre 2009.